Votre témoignage:

J’avais 12 ans, c’était un matin, je devais partir pour le collège…

Quel est votre premier souvenir de la maladie ?

Véronique  J’avais 12 ans, c’était un matin, je devais partir pour le collège. Je me suis levée, j’ai fait un pas, et je me suis retrouvée par terre. Ma jambe se traînait. Alors que je mettais normalement 10 minutes à pied de chez moi au collège, j’ai mis plus d’une demi-heure. Le soir même, j’en ai parlé à mes parents. Ils ne m’ont pas vraiment pris au sérieux. Il faut dire que j’étais un sacré numéro  (Rires) Mais un jour, je suis tombée à un passage clouté, alors qu’une voiture arrivait. Ma mère a assisté à la scène. C’est là qu’elle a pris conscience qu’il devait effectivement y avoir un problème. Elle m’a d’abord emmené voir un voisin médecin, qui n’a rien décelé. Alors nous sommes allés aux urgences. Un premier médecin a testé mes réflexes, avant de m’adresser au CHU le plus proche. Là, j’ai vu d’autres médecins qui ont pris la décision de pratiquer une ponction lombaire et de me faire passer un IRM.

Vous saviez ce qu’était une sclérose en plaques ?

Non. À l’époque, il fallait faire trois poussées avant que le diagnostic soit confirmé et que l’on mette en place un traitement de fond. Après la première poussée, le neurologue n’est pas rentré dans les détails. Il m’a simplement dit que cette maladie allait me gêner au cours de ma vie. Il m’a alors prescrit mon premier bolus de corticoïdes. Et je suis rentrée chez moi.

Mais la maladie a continué à agir…

Oui, la seconde poussée m’a fait perdre de la vue. Je n’avais plus qu’un dixième à chaque oeil. Et à la troisième, c’est la marche qui a été atteinte. Le neurologue a alors décidé de mettre en place un traitement de fond. Et pour la première fois, il a tenté de m’expliquer de quoi je souffrais.

De manière compréhensible pour une enfant de 13 ans ?

Au départ, son discours était très médical. Je ne comprenais pas. Je lui ai dit que s’il ne m’expliquait pas plus clairement, je n’accepterais aucun traitement  (Rires) Alors il a essayé de me m’expliquer de manière imagée ce qui se passait dans mon corps. Mais avant ce rendez-vous, je m’étais déjà un peu renseignée, par moi-même, sur Internet. J’avais besoin de savoir, de comprendre ce qui se passait.

On imagine aussi la détresse des parents, face à l’annonce de la maladie d’un enfant. Comment ont réagi les vôtres?

Mon père a été «soulagé», le terme peut choquer, mais il avait peur que ce soit «plus grave», que je n’ai plus que quelques mois à vivre. Pour lui, la sclérose en plaques n’était pas mortelle, donc il restait de l’espoir. Ma mère a été plus affectée, mais elle faisait bonne figure pour ne pas m’effrayer.

Et sur la durée, comment vous ont-ils accompagnée ?

Mes parents ont réagi de manière totalement différente. Ma mère s’est mise à me couver, à me surprotéger, à me rappeler sans cesse de faire mes piqûres, de ne pas trop me fatiguer. Ce qui avait le don de m’énerver parfois  Mon père, lui, a fait comme si rien n’avait changé  il refusait de parler de la maladie, que ce soit avec moi ou avec ses proches.

Comment avez-vous vécu ce silence ?

Ca a été difficile. Pendant un temps, j’ai pensé qu’il avait honte que je sois sa fille. Comme nous n’arrivions pas à communiquer, les conversations tournaient court. Jusqu’au jour où son meilleur ami s’est confié à moi et m’a révélé ce que pensait réellement mon père. A quel point il était affecté par ma maladie, et à quel point il se sentait coupable. Depuis, nous avons brisé la glace. Ca reste un sujet difficile pour lui, mais je sais aujourd’hui qu’il est là pour moi. Et qu’il se montre fort, pour me donner du courage.

Comment la maladie a-t-elle évolué par la suite ?

Mon premier traitement puis un second a porté ses fruits pendant huit ans. De 12 à 20 ans, mes poussées étaient assez espacées. Mais je n’en pouvais plus des trois injections par semaine  D’autant que je me piquais toujours au même endroit, au ventre, par volonté de ne pas donner plus à ma maladie que cette partie-là de mon corps. Mais mon ventre devenait trop marqué, et les effets bénéfiques du traitement ont commencé à s’estomper.

Il a donc fallu envisager de nouvelles thérapies…

Oui. Mais entre temps, j’avais emménagé sur Paris, pour mes études. J’ai donc dû trouver un neurologue sur place. Je lui ai exprimé mon refus catégorique de poursuivre les injections. Mais il restait sourd à ce que je lui disais. Il me proposait la Copaxone… à injection journalière  J’ai donc claqué la porte, parce que j’ai du tempérament, il ne faut pas croire  (Rires) Et il en faut, face à cette maladie. J’ai donc appelé mon neurologue référent, qui lui, me connaît par coeur. Il m’a alors proposé immunomodulateur. J’ai suivi ce traitement pendant un peu plus de deux ans. Mais je viens de commencer une nouvelle « aventure » thérapeutique, car ma sclérose en plaques est désormais en forme progressive.

Comment vit-on avec cette épée de Damoclès sur la tête, lorsqu’on est enfant, qui plus est  Avez-vous bénéficié d’un soutien psychologique ?

J’ai toujours refusé de me faire aider. J’ai vu deux psychologues au début, mais ça n’a rien donné. Il faut dire que je parle facilement de ma maladie, le plus souvent avec humour et autodérision. À tel point qu’il était aisé de croire que je l’avais réellement acceptée. En réalité, au plus profond de moi, j’en voulais au monde entier. Mais je ne laissais rien paraître. Je voulais faire passer ma faiblesse pour une force. Au collège, je rigolais quand on me disait «tu marches bizarrement». C’était un moyen de donner l’impression qu’on ne pouvait pas m’atteindre par ma maladie.

Alors justement, comment ça se passait avec vos petits camarades ?

Quand la maladie s’est déclenchée, j’étais en classe de 5e. Les autres élèves ne comprenaient pas pourquoi je devais être au premier rang, à cause de ma vue, et pourquoi j’avais des difficultés à marcher. Ils se moquaient de moi, m’accusaient d’être à la botte du professeur. Ca n’a pas été facile. Mais l’année suivante, en classe de 4e, j’ai fait un exposé sur la sclérose en plaques et j’ai encouragé mes camarades à me poser toutes les questions qu’ils voulaient. Ils avaient aussi besoin de comprendre pourquoi j’avais changé.

Et vous, avez-vous ressenti le besoin de rencontrer d’autres «enfants malades» ?

Non. Parce que j’ai toujours refusé de me définir par ma maladie. C’est important pour moi d’être en contact avec des personnes qui vivent d’autres choses, avec qui j’ai des affinités autres que ma maladie  Ca permet de vivre une vie aussi normale que possible. Mes amis ont aussi des problèmes, qui peuvent parfois sembler dérisoires, mais je suis heureuse de pouvoir les aider. Leurs problèmes sont aussi durs à vivre pour eux, que l’est pour moi ma maladie.

Vivre normalement dites-vous, mais avec la maladie viennent les premiers renoncements. Comment est-ce qu’on accepte de renoncer, si jeune ?

Il ne faut pas le voir comme ça, sinon on ne s’en sort pas. C’est sûr, je ne pourrais jamais avoir mon permis de conduire, et je n’aurais peut-être jamais d’enfant. Mais aujourd’hui, j’essaye de trouver un moyen de «contourner» chaque renoncement. Par exemple, je n’aurais peut-être jamais le permis, et bien je prendrai un chauffeur  (Rires). Non, plus sérieusement, à défaut du permis, j’ai décidé de prendre des leçons de scooter. Je ne vais pas loin, je roule doucement. Parfois même, je tombe, mais je ressens un tel sentiment de liberté et de plaisir que j’en oublie le permis. Et le fait que je ne l’aurais jamais. De la même manière, j’ai déjà envisagé la possibilité que je ne puisse jamais avoir d’enfant. Et bien je me suis dit que j’adopterai. Ce ne sera pas aussi évident que ça, je le sais bien, mais j’essaye tant que possible de me focaliser sur les bonheurs accessibles, plutôt que sur les frustrations.

Et de vous fixer des objectifs?

Oui. Et c’est très important de se fixer des objectifs, malgré la maladie et ses incertitudes. Sinon la vie n’a pas de sens. J’ai déjà réussi à suivre une scolarité quasi normale, sans toujours tenir compte des avertissements des médecins (Rires). Ca n’a pas toujours été facile, mais j’ai obtenu mon bac, puis un BTS radiophonique et une licence de communication. Chaque année, j’avais de nouveaux objectifs, je me projetais dans le futur. Comme quelqu’un de bien portant.

L’adolescence, c’est aussi l’âge des premiers émois. Comment se projette-t-on dans la découverte amoureuse avec la maladie?

Dans un premier temps, je me suis dit que personne ne voudrait de moi. Que ma maladie serait un obstacle insurmontable à l’amour. Je ne voyais pas comment quelqu’un de bien portant pourrait accepter de partager ma vie et donc ma maladie  À 17 ans, j’ai vécu ma première histoire d’amour. Mon petit ami était jeune lui aussi et la maladie l’effrayait. Il refusait d’en parler et de me voir dans mes moments de faiblesse. Il ne marchait jamais à côté de moi dans la rue, et me disait de me retenir quand j’avais une envie pressante… À 23 ans, j’ai vécu une histoire totalement différente. La personne qui partageait ma vie était plus âgée et connaissait bien la maladie. Il m’a beaucoup soutenue, sans me juger.

Voilà 12 ans maintenant que vous vivez avec la SEP. Qu’est-ce qui vous fait tenir au quotidien?

Beaucoup de choses. Il y a ma famille, mon (sale) caractère  (Rires). Mon chien, mes amis, et toutes les nouvelles rencontres que je peux faire. Et puis il y a l’espoir de la recherche. Je mise beaucoup sur les avancées thérapeutiques. Je me dis que je suis encore jeune et que j’ai toute la vie devant moi…

Propos recueillis en septembre 2011

Véronique, 24 ans

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